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lundi 21 juillet 2025

Un mois, une citation - Eté 2025

"Quand "on fait entrer quelqu'un dans son intimité", on ne sait trop ce qu'on lui accorde, mais on sait ce qu'on ne lui refuse plus ce qu'on refuse au tout-venant."

Extrait de L’intimité menacée ? Le souci de l'intimité dans la pratique du soin et de l'accompagnement : quels enjeux éthiques ? sous la direction de Miguel Jean et Aurélien Dutier, collection "L'âge et la vie - Prendre soin des personnes âgées et des autres", 2019, érès ; Extrait du chapitre « Qu’est-ce que l’intimité ? » par Jean-Michel Vienne, p11 à 18.

"Instinctivement, nous savons quand notre intimité est violée : la honte, la blessure, silencieuse ou la révolte nous en informent. Mais quand il s'agit des autres et que le soignant a pour mission de frôler cette zone sensible, comment être sûr ? Jusqu'où aller face à la revendication d'intimité d'un patient, et plus encore face à sa soumission silencieuse ? Pour répondre, il est bon de mettre en mots ce qui paraissait évident.

Ce qui caractérise d'abord l'intimité, c'est sa limite : une frontière qui circonscrit un domaine. Et la frontière est plus visible que le domaine. Quand "on fait entrer quelqu'un dans son intimité", on ne sait trop ce qu'on lui accorde, mais on sait ce qu'on ne lui refuse plus ce qu'on refuse au tout-venant. La clôture, la réserve s'oppose à l'étalage, au public, à l'objectif. Cette limite est valorisée en notre époque où le sujet individuel est mise au premier plan, face à des pouvoirs extérieurs qui le cernent ; contre toute autorité extérieure, celle des gouvernants, des parents, des tuteurs mais aussi de la société (commerce, numérique, soignant ?), la revendication d'un domaine réservé se fait plus forte. Peut-être l'individu, valorisé mais ignorant qui il est, se définit-il d'abord par cette limite.

Le souci de la limite témoigne pourtant d'un désir positif : celui d'un espace réservé lié à une recherche d'identité. Ce désir se manifeste par exemple dans le besoin d'un "chez soi" où l'on se protège du regard extérieur, où l'on peut s'exprimer sans convention, où l'on peut créer une atmosphère propre, où l'on peut, sur le seuil d'abord plus loin ensuite, accueillir certains (les intimes), et leur donner la faveur de découvrir ce qui était masqué derrière le rideau. L'effraction, ou plus gravement l'expulsion et l'exil déstabilisent la personne entière en lui ôtant tout intimité.

Ce désir est aussi manifeste dans la réserve envers les souffrances, les espoirs, les joies, les croyances, les intentions qui me constituent : elles sont miennes mais je parviens difficilement à les exprimer, à les mettre à distance, à les objectiviser ; et je ne tiens pas à les laisser paraître. En ce sens, paradoxalement, j'en suis à la fois certains et très incertain ; certain que cela m'apporte, que cela me tient, mais incertain sur ce qu'il faut dire ou en faire (le silence des victimes d'une agression..). En tout cas, je ne souhaite pas qu'un autre ait pouvoir d'y intervenir. Ici encore, je peux cependant faire confiance à certains intimes pour partager ce qui me pose question.

Ce désir d'intimité se manifeste plus encore dans le rapport à mon corps : il est ce qui extériorise le plus ma personne, ce qui la rend visible, et donc où je me risque en public, ce qui pourrait me trahir à mon insu. Aux composantes sexuelles ou d'excrétion, notamment, sont attachés une affectivité, des valeurs positives ou négatives, une incertitude, qui mettent fortement en jeu mon identité incertaine. C'est parce que je ne maîtrise pas entièrement ces dimensions corporelles de mon identité, parce qu'elles me constituent tout en m'échappant, que je ne souhaite pas les vulgariser. La pudeur et la honte en cas d'effraction témoignent de ce désir de ne pas m'exposer dans ce qui me constitue au plus près. Certains, ici encore, peuvent être admis dans l'intimité - mais une alchimie complexe règle cette proximité car cette intimité est marquée de zones diverses (la famille et les soignants n'ont pas les mêmes "droits" dans la toilette "intime") ; les différents sens (toucher, vue...) non plus ne sont pas égaux car certains sont tolérés et d'autre pas.

Habiter, ressentir, s'exposer, voici trois domaines marqués par le désir d'intimité."

 

En savoir plus :

L’intimité menacée ? Le souci de l'intimité dans la pratique du soin et de l'accompagnement : quels enjeux éthiques ? sous la direction de Miguel Jean et Aurélien Dutier, collection "L'âge et la vie - Prendre soin des personnes âgées et des autres", 2019, érès

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