Edito de la Lettre d'information de l'ERENA Bordeaux - Octobre 2020.
Challenge infectieux, challenge éthique ?
Au moment où l'INSERM lance en France une plateforme de recrutement de volontaires pour participer aux études cliniques de différents vaccins contre le SARS-COV-2, les britanniques s'apprêtent à utiliser la méthode du challenge infectieux pour en déterminer l'efficacité. Cette méthode, qui consiste à vacciner des volontaires puis à leur injecter le virus, a l'avantage d'analyser rapidement, et sur un petit nombre de personnes, les réponses immunitaires déclenchées par la vaccination, de comparer les vaccins entre eux et de tester la résistance des sujets à l'infection. En
période épidémique d'une maladie infectieuse grave, elle peut être considérée comme supérieure à la méthodologie habituelle des essais cliniques consistant à vacciner un très grand nombre de personnes et à déterminer au bout de plusieurs semaines ou mois l'incidence, en milieu écologique, de l'infection dans le groupe vacciné versus un groupe contrôle.
Le challenge infectieux a été utilisé à plusieurs reprises pour la grippe, la fièvre jaune, le cholera ou le paludisme. Il est admis que cette méthode est acceptable lorsque l'on dispose d'un traitement efficace de la maladie que l'on cherche à provoquer pour limiter les risques encourus par les volontaires qui sont rémunérés pour participer aux essais. Dans le cas de la COVID, aucun antiviral n'a fait la preuve de son efficacité réelle et la corticothérapie n'est que partiellement efficace dans les formes avec activation immunitaire majeure, les plus dangereuses. Cette méthode, jugée possible par l'OMS, fait donc courir un risque létal et, pour le réduire, la sélection des volontaires doit être drastique, limitée à des personnes jeunes sans comorbidités. Mais cette sélection limite l'extrapolation des résultats aux populations les plus fragiles, âgées, comorbides, que l'on doit protéger en priorité. Une firme américaine One day sooner a déjà recruté 38 000 volontaires dont 2 000 anglais pour participer à un tel essai. Le questionnement éthique porte donc à la fois sur le risque auquel on
expose des volontaires sains à une maladie dont on ne connait pas de traitement curatif, sur la probabilité d'exposer des jeunes en situation de précarité plutôt que des volontaires désireux d'aider la recherche clinique et aussi sur la faible valeur des résultats pour les populations à protéger en priorité.
En France, le Conseil scientifique dans son avis du 9 juillet s'est clairement positionné contre le challenge infectieux qui ne sera pas utilisé dans les essais cliniques pilotés par l'INSERM.
Pr Muriel Rainfray
Membre du comité exécutif de l'ERENA Bordeaux, professeur des universités - praticien hospitalier, responsable de l'unité médecine gériatrique 1 du pôle gérontologie clinique, CHU de Bordeaux, coordonnateur du DU d'Ethique médicale, Université de Bordeaux.