Par le Docteur Arnaud Larrouture, médecin gériatre et de soins palliatifs, docteur en philosophie pratique et éthique et membre du groupe Personnes ressources de l'ERENA Bordeaux.
Qu’est-ce qu’être soignant, qu’est-ce qu’être un bon soignant ?
Ce sont les questions pour lesquelles le Dr Arnaud Larroutre, à l’initiative du Centre Hospitalier de Sainte-Foy la Grande, a pu apporter des pistes de réflexion à la cinquantaine de professionnels venus assister à la conférence.
Soigner et prendre soin
Le soignant intervient dans différents lieux, dans différents contextes. Mais dans chacun de ces lieux, chacun de ces contextes, ce professionnel existe dans sa relation avec l’autre, personne soignée et accompagnée, dans le cadre d’un acte de soin qui est l’aboutissement de la relation de soin.
Etre soignant, c’est réaliser des soins, prendre soin. C’est être soigneux, agir avec soin, être aux petits soins pour l’autre. Soigner se rapporte à l’acte thérapeutique, au « cure ». Prendre soin se rattache à la relation de soin, au « care ». Le soin relève de l’attention à l’autre, personne soignée, personne accompagnée.
« Les deux notions, de préoccupation et de soins se rejoignent dans celles d'une préparation à s'occuper de quelque chose ou de quelqu'un, à se disposer à leur égard de façon telle que ce qui va résulter de notre attitude ou de notre action répondre à l'intérêt que nous leur portons. » (Bernard Honoré 2003)
Si l’acte soignant agit « pour » le malade, l’acte du « prendre soin » s’efforce d’agir ou de faire « avec » lui, en relation avec lui. Si les soins relèvent du faire, le soin en revanche se définit comme un agir (acte se référant à une praxis). Au pluriel, les soins témoignent du soin porté à la personne.
« J’utilise le mot soins infirmiers faute de mieux. Il a été limité à signifier un peu plus que l’administration de médicaments et l’application de cataplasmes. Cela devrait signifier l’utilisation appropriée de l’air frais, de la lumière, de la chaleur, de la propreté, du calme, ainsi que la sélection et l’administration appropriées de l’alimentation, le tout au moindre coût de l’énergie vitale pour le patient. » (Florence Nightingale)
« Prendre soin, c’est en même temps exprimer sa compassion et ne pas fusionner, être attentif, vigilant et non juge, dépositaire de bonne pratiques médicales ou chirurgicales, tout en respectant le sujet. » (Didier Sicard 2002)
Les soins sont une pratique et une valeur : qui « prend soin » n’est, au fond, qu’un compagnon « d’impuissance ». Il vient seulement, comme l’écrivait Bernanos, aider à « faire face » (1)
Quelle finalité pour le Prendre Soin ?
La finalité de l'action médicale et paramédicale est d’aider les individus à vivre leur situation plutôt que de simplement traiter leur maladie.
Il faut distinguer le fait de soigner les malades et celui de prendre soin d'eux. Le « prendre soin » est une approche centrée sur la personne plutôt que sur la maladie elle-même. Il s'agit non seulement d'accomplir des tâches mais surtout de rencontrer et accompagner les patients.
« La notion de personne en tant que fin en elle-même vient équilibrer celle d’humanité. » (Paul Ricoeur, Soi-même comme un autre, p.264)
La relation de soins
Accompagner la personne physiquement, ou mentalement, ou psychiquement invalide, ce n’est pas d’abord – comme en médecine – de savoir ce qu’elle a, mais de savoir ce qu’elle veut, de comprendre ce à quoi elle aspire. Et aussi de l’aider à exprimer et à mieux comprendre elle- même ses propres aspirations.
L’aidant qui prend soin est un être à l’écoute.
L’éthique du soin s’appuie sur des principes et des valeurs parmi lesquels nous pouvons citer :
● Bienfaisance et non malfaisance,
● Confidentialité,
● Qualité des moyens mis en œuvre,
● Vérité des relations,
● Autonomie
● Consentement / refus,
● Justice
● Respect égal de la dignité et absolue égalité de traitement,
● Solidarité : Liberté, égalité, fraternité
Etre soignant, une éthique du don
« Si le soin est un don sans nécessité de contre-don, c’est seulement que sa visée est autrui et uniquement autrui. » (Philippe Svandra)
Soigner et prendre soin signifient aussi rechercher la dignité de celui qui reçoit.
« Il est toujours difficile de penser des pratiques qui se pratiquent sans penser. » (Christian Gilioli)
Cette éthique du don nécessite une prise de recul en réinterrogant du dehors ce que l’on discerne mal du dedans, pour opérer une « épochè » (mot grec signifiant en philosophie ou en psychanalyse « suspension du jugement »)
« C’est au moment du « je ne sais pas quelle est la bonne règle » que la question éthique se pose. C’est ce moment où je ne sais pas quoi faire, où je n’ai pas de normes disponibles, où je ne dois pas avoir de normes disponibles, mais où il me faut agir, assumer mes responsabilités, prendre parti. » (Jacques Derrida, entretien avec J.-A. Nielsberg)
En conclusion
« La relation médicale est d’abord une conscience qui rejoint librement une confiance. » (Pr Louis Portes)
Prendre soin, c’est une présence en vérité pour un art du singulier où la solidarité pour l’autonomie peut redonner très simplement du corps et de l’âme à notre envie « fraternelle » de vivre ensemble (liberté, égalité, fraternité). Car la sollicitude des autres contrebalance le sentiment qu’éprouve l’homme de ne pas être attendu, d’être seul et nu dans une nature froide parfois hostile et cruelle.
Cet accueil et cette chaleur humaine permettront « que le monde devienne pour lui le foyer chaud et accueillant auquel on pense en parlant de l’entretien du feu vital » (Jan Patočka, Essais hérétiques sur la philosophie de l’histoire, Lagrasse, Verdiers, 1999, p. 62.)
Un grand merci au Docteur Marie-Claire Huet, organisatrice de cette conférence, à la Direction de l’établissement, ainsi qu'à l'ensemble des personnes et des soignants présents pour ces échanges et pour leur accueil toujours aussi chaleureux !
Pour aller plus loin :
Soignant-soigné, trouver l’accordage pour entrer en résonance, Eva-Johanna Nitschelm dans Jusqu’à la mort accompagner la vie 2015/4 (N° 123), pages 47 à 54
(1) Soigner ou Prendre soin ? la place éthique et politique d'un nouveau champ de protection sociale, Denis Piveteau dans Laennec 2009/2 (Tome 57), pages 19 à 30
Le care et le soin : vers quelle reconnaissance ? Le moment du vivant (III), Frédéric Worms dans Esprit 2009/5 (Mai), pages 191 à 195
Les deux concepts du soin. Vie, médecine, relations morales, Frédéric Worms, dans Esprit presse, 2006
Cours « La relation soignant/soigné et ses aspects », CHU de Nantes, auteur inconnu, année inconnue