Retour sur ce colloque qui s'est tenu le 18 octobre 2023 à la FRAC-MéCA de Bordeaux.
Organisé sous l'impulsion de Isabelle Galichon avec la participation de Véronique Avérous, directrice de l'ERENA Bordeaux, ce colloque très riche a réuni des universitaires, des écrivains et des professionnels de santé autour des thèmes du récit et de la complexité de la temporalité (des temporalités) dans ce temps suspendu de la fin de vie.
Recension de (courts) moments choisis :
"Est-ce que je suis déjà morte ?", "De quoi te souviens-tu, mamie ?". « Il faut qu'une autre humanité soit là pour accompagner cette humanité qui s’en va », a dit Véronique Lefèbvre des Noëttes, psychiatre et gériatre. Mathieu Simonet, ancien avocat aujourd’hui écrivain a parlé, lui, d’une densité de la fin de vie : « le mourant est maître du temps ». « Il faut faire le deuil du temps parfait », de ce temps impossible à maîtriser en fin de vie.
Isabelle Aupy, kinésithérapeute et autrice, a raconté les temps différents, du patient, du soignant et du corps lui-même, emporté dans les arcanes de la maladie. En réanimation, le patient n’a pas toujours le temps de comprendre ce qui lui arrive. Il est alors important, lorsqu’il se réveille d’un coma par exemple, de lui relater le récit de ce qui s’est passé, de ce que son corps a vécu : « une implosion ». Mathieu Simonet a évoqué l’histoire d’une famille qui a tenu un journal pendant le coma de leur proche. Lui-même a accompagné sa mère, puis son conjoint en soins palliatifs, et a écrit sur ce parcours. Il se questionne encore : « quand on écrit sur quelqu’un, pour quelqu’un, on n’est jamais sûr de lui être fidèle ».
Alain de Brocca, neuropédiatre, a ensuite convié au récit d’une grossesse qui s’achève sur la naissance d’un enfant qui va mourir à la naissance. Il a exploré les temps de ce chemin de joie puis de douleur, de sidération et enfin de deuil. Les parents traversent différents temps : le temps des cycles, de la vie qui naît en soi, le temps l’inédit, de l’inconnu, le temps tsunami de l’annonce – mais l’annonce de quoi ? -, le temps qui s’arrête, le temps de la sidération, le temps suspendu, le temps chronos, des minutes, des heures qui défilent, le temps des injonctions paradoxales, le temps des soins palliatifs, le temps de la pleine présence, le temps de la banalité du bien, le temps de l’éphémère, le temps du deuil, le temps de l’amour…
Natividad Garrido, doctorante, a travaillé sur l’œuvre d’Hervé Guibert, malade du sida, qui s’est exposé durant toute sa maladie, au travers d’écrits et de vidéos. Elle a parlé de perspectives ou points de vue, celle du patient, des soignants. Dans ses écrits, Hervé Guibert propose différentes narrations : celle, immédiate, de son présent, celle, rétrospective, de son passé et enfin celle, anticipative, de son futur, de sa mort.
Franck Devaux, philosophe, a invité à réfléchir sur quelle peut-être l’identité narrative d’un enfant à naître, d’un fœtus avec une maladie grave. « Avant de savoir ce que l’on peut faire, en tant que soignant, il faut savoir dans quelle(s) histoire(s) on s’embarque, de qui et de quoi prenons-nous soin ? ». Il a parlé de la parole, des paroles convoquées en fin de vie : la parole exacte, la parole vraie et la parole juste.
Olivia Scelo et Loïc Bourdeau ont proposé la lecture de deux ouvrages écrits après la mort d’un enfant, par leur parent : « L’enfant éternel », de Philippe Forest, paru chez Gallimard et « Philippe », de Camille Laurens, paru aussi chez Gallimard. « Ce sont tous deux des récits de deuil, et d’enquête ». « L’écriture est un pharmacon ». « L’écriture permet de survivre à l’enfant », est une catharsis. Elle permet de redécouvrir le temps de la maladie comme « un temps qui tourne sur lui-même, un temps des moments suspendus ». « Nous sommes dans une société de consolation », dit Philippe Forest, mais certains ne veulent pas être consolés.
La dernière table ronde s’est tenue avec des professionnels soignants (Myriam Mercier, infirmière et formatrice, Sandra Giuliato, art-thérapeute, Jennifer Duchennes, IFMK) et une anthropologue (Frédérique Drillaud), avec la modération de Nicolas Vonarx (Université Laval – Québec. Ils ont évoqué des pratiques pour travailler les temporalités de la fin de vie avec les patients et les soignants. Le patient en fin de vie veut avant tout "se raconter à travers sa vie avant de se raconter à travers sa maladie".
Un replay du colloque sera proposé ultérieurement.
Muriel Raymond, chargée de mission ERENA Bordeaux